L’impact du Digital Market Act sur les GAMMA : le cas très révélateur d’Apple

La position ambitieuse de l’Union européenne sur le sujet du numérique n’est plus à démontrer, et sa volonté d’instaurer une réglementation au-delà de ses frontières continue de s’illustrer. En octobre dernier, deux textes majeurs ont été adoptés par l’Union européenne : le Digital Market Act (DMA), et le Digital Service Act (DSA). Inévitablement associés, ces textes cousins, nés de la volonté de moderniser la directive e-commerce datant de 2000, ont suivi le même calendrier législatif depuis leur proposition par la Commission européenne en décembre 2020. Toutefois, tandis que le DSA vise à réguler les contenus diffusés, le DMA concerne quant à lui les plateformes directement, et tout particulièrement les GAMMA (anciennement GAFAM, où Facebook est devenu Meta). Or, ces derniers étaient loin de voir d’un bon œil les avancées dans la négociation du texte les concernant, ce qui a abouti à plus de 150 réunions entre les GAMMA et des représentants de l’UE. De même, Apple a doublé son budget lié au lobbying à Bruxelles entre 2020 et 2021.
Tous ces efforts de la part des GAMMA n’ont pas porté leurs fruits, car le DMA fut adopté le 12 octobre dernier, et entrera en vigueur en mai prochain. Apple se retrouve alors l’une des entreprises les plus impactées par ce nouveau texte dont la philosophie prend le contrepied total avec celle de la marque à la pomme, à tel point que tout l’écosystème d’Apple en vient à être bousculé.

I. L’opposition fondamentale entre le DMA et Apple

Depuis que les négociations ont démarré, les institutions de l’Union européenne ont n’ont jamais caché les ambitions de ce texte et des raisons qui ont amené à son adoption. En effet, la Commission européenne a mis en avant le fait que plus de 10 000 plateformes en ligne opèrent aujourd’hui, dont 90% sont des TPE/PME, mais que seuls quelques acteurs captent la quasi-totalité du marché. La vocation première du DMA a ainsi toujours été de lutter contre les pratiques anticoncurrentielles des géants du numérique et corriger les déséquilibres engendrés par leur domination sur le marché européen. Pour cela, les institutions de l’Union européenne ont établi des critères stricts pour que le DMA ne concerne que les géants du numérique, aussi bien les GAMMA américains que les BATX chinois. Par ailleurs, le texte européen est marqué par une forte volonté de rendre interopérable certains services, et par conséquent de mettre fin aux systèmes en vase clos de certains acteurs.
Or, parmi les adeptes d’un tel système, on retrouve évidemment Apple en tête d’affiche. En effet, la marque à la pomme a toujours revendiqué un écosystème qui lui est propre et dans lequel les autres acteurs ne sont pas les bienvenus. Cette philosophie se traduit dans les services proposés par Apple, comme iMessage ou AirDrop qui ne fonctionne qu’entre utilisateurs d’iPhone. Mettant en avant la sécurité offerte par cette philosophie, Apple en a même fait un argument de vente auprès des utilisateurs. Ainsi, l’impossibilité de télécharger une application depuis un autre magasin que l’AppStore depuis un iPhone ou un iPad permet à Apple d’assurer un haut niveau de sécurité des applications disponibles. Dans les faits, certes les applications frauduleuses sont bien moins nombreuses sur l’AppStore que sur les autres magasins d’application, mais la sécurité des iPhones est moins avant-gardiste qu’il n’a pu l’être, comme le démontre la faille massive de sécurité subie par le système iOS en août 2022.
Néanmoins, avant l’adoption du DMA, Apple n’avait montré aucun signe pouvant laisser penser à une ouverture de son écosystème à d’autres acteurs. Mais avec l’entrée en vigueur du texte, elle y sera en partie contrainte.

II. La mise à mal de l’écosystème Apple par le DMA

Pour la poignée d’entreprises qui seront concernées par le DMA, une série de nouvelles obligations viendra s’imposer. Dans le cas d’Apple, force est de constater que la grande majorité de cette nouvelle réglementation vient l’impacter, la contraignant ainsi à ouvrir les frontières de son écosystème.
Lorsque l’on se penche sur les services de la marque à la pomme qui seront impactés, il est intéressant de noter qu’ils sont tous des fondamentaux d’Apple et qu’ils font partie de son identité. C’est notamment le cas d’iMessage, le service de messagerie uniquement opérationnel entre utilisateurs d’iPhone, devra devenir interopérable avec d’autres services de messagerie. Des utilisateurs de Whatsapp sur un mobile Android pourront ainsi communiquer avec un utilisateur d’iMessage, car le DMA impose aux services de messagerie de garantir l’interopérabilité de leurs fonctionnalités de base, même avec les concurrents les plus modestes.
Mais cette ouverture de la solution de messagerie d’Apple est loin d’être un cas isolé, car le DMA impose par ailleurs de faciliter le remplacement des applications installées par défaut sur un appareil. Par conséquent, une série de services d’Apple installée sur ses appareils, qui étaient jusque-là indélogeables, devront pouvoir être remplacé par ceux d’un concurrent si l’utilisateur le souhaite. On pourrait alors avoir la possibilité d’installer Alexa d’Amazon à la place de Siri, de définir Waze comme son service d’itinéraire en lieu et place de Plan, ou encore de supprimer Safari au profit d’un autre navigateur, qu’il s’agisse de Google Chrome, Ecosia, Brave, Qwant, ou d’autres. Pourront ainsi être remplacés quelques-uns des services les plus caractéristiques de la marque à la pomme, ce qui risque de porter atteinte l’image d’Apple. Toutefois, d’autres services risquent d’être impactés bien plus en profondeur encore.
Effectivement, le DMA vient poser d’autres obligations bien plus impactantes pour l’entreprise américaine. L’une d’entre elles est l’interdiction pour une marque de limiter son écosystème à un seul magasin d’applications. En d’autres termes, Apple ne pourra plus imposer l’AppStore aux utilisateurs d’iPhone ou d’iPad pour télécharger de nouvelles applications. Il s’agit sûrement de la contrainte ayant suscité le plus de réaction de la part des dirigeants d’Apple, car l’AppStore était pour eux un instrument précieux dans la politique d’Apple sur le sujet. En effet, Tim Cook, PDG de l’entreprise, a grandement contesté cette nouvelle restriction au motif que cela viendrait grandement diminuer la sécurité des appareils Apple. Toutefois, les partisans du texte pourraient mettre en avant le fait que l’écosystème Mac permet déjà de télécharger des applications depuis des sources tierces, ce qui pourrait permettre à Apple de mettre en place la même certification d’applications tierces sur iPhone et iPad. Par ailleurs, certains affirment que la réaction de Tim Cook est en réalité liée à la perte financière pour Apple engendrée par cette ouverture de l’AppStore, car une commission de 30% est prélevée par l’entreprise américaine sur toute transaction ayant lieu sur l’AppStore. Quoi qu’il en soit, l’entrée en vigueur du DMA impliquera pour Apple d’ouvrir la possibilité pour les utilisateurs d’iPhone de télécharger une application depuis un autre magasin que l’AppStore, ce qui marque un tournant drastique aussi bien pour la marque à la pomme que pour ses adeptes.
Enfin, le DMA pourrait venir infliger un dernier coup de grâce à Apple, bien que cela soit encore incertain à la lecture du texte. En effet, celui-ci interdit aux marques de limiter certaines technologies à leurs propres applications. Or, une telle contrainte pourrait faire perdre à Apple son monopole sur la puce NFC de l’iPhone permettant notamment ApplePay. Bien que cette contrainte soit plus incertaine, ses conséquences seraient non-négligeables, même pour une firme comme Apple.
Apple va donc se retrouver fortement touché par l’entrée en vigueur du DMA, texte dont la philosophie va dans le sens contraire à la sienne. Ainsi, elle se trouve être une parfaite illustration des conséquences de l’entrée en vigueur du DMA, bien qu’elle ne soit pas la seule entreprise concernée par ce texte.

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