[Tribune] Internet : reprendre le contrôle de nos vies privées

Publiée dans Les Echos, le 27 octobre 2020

Malgré les espoirs qu’il a suscités, le RGPD est loin d’avoir apporté une réponse définitive aux questions liées à la protection de la vie privée sur Internet, regrette dans une tribune Corinne Guédon-Lepeuple, directrice générale et fondatrice de Little Syster.

Politiques de confidentialité incompréhensibles, recueil de consentements à répétition : sur Internet, rien n’est fait pour faciliter la vie des utilisateurs. Pour bénéficier du service auquel il souhaite accéder, l’utilisateur se résout trop souvent à accepter les demandes de consentement sans comprendre. Pourtant, qui, dans la vraie vie, accepterait de signer des contrats sans les avoir lus ?

Il faudrait 76 jours par an pour lire toutes les conditions générales d’utilisation (CGU) des sites que nous visitons . Soit plus de deux mois et demi chaque année…. Qui a ce temps à consacrer à ces empêcheurs de surfer en rond qui apparaissent avant même la navigation ? D’ailleurs même quand nous donnons notre consentement, sait-on vraiment comment nos données sont utilisées ?

Le citoyen-régulateur

L’entrée en vigueur, en Union européenne, du Règlement général sur la protection des données personnelles (RGPD) a fait bouger les lignes dans le monde de l’entreprise et éveiller certaines consciences individuelles en amenant le sujet de la protection de la vie privée numérique dans l’espace public. Lorsque l’on regarde de plus près les plaintes reçues par la CNIL (le gendarme des données personnelles), celles-ci sont portées dans leur très large majorité par un public informé et militant, tandis que la plupart des citoyens se tiennent encore loin de ces enjeux.
En réalité, l’action du régulateur n’est qu’une partie de la solution. Pour que la protection de la vie privée sur Internet soit respectueuse de son choix, l’utilisateur doit s’emparer du sujet car c’est encore lui le meilleur « régulateur ».
Plus que jamais, l’action du citoyen est essentielle pour que l’écosystème soit plus vertueux.

L’écosystème numérique : un nouveau territoire de citoyenneté

Nous sommes convaincus que les citoyens doivent exercer les mêmes droits et libertés dans le monde numérique que ceux qu’ils ont coutume d’exercer dans la cité. Il y a nécessairement un travail de pédagogie à mener dont l’objectif serait de donner les clés au citoyen pour que ses décisions ne soient guidées ni par la peur qui conduit à tout refuser, ni par le renoncement qui le met en situation de tout accepter.

En s’appropriant ces nouveaux territoires de citoyenneté, l’utilisateur aura l’opportunité de participer à l’évolution des pratiques en matière de protection des données personnelles. Ce dialogue est nécessaire afin d’encourager l’ensemble des acteurs du numérique à prendre des engagements durables envers les citoyens garantissant ainsi le rétablissement de la confiance entre tous.

Un rapport de force à rééquilibrer

Parmi ces acteurs, l’Europe a un rôle particulier à jouer dans le rééquilibrage de ce rapport de force, en particulier avec les Gafam (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft). Nous ne pouvons pas ignorer leur monopole économique et technologique ainsi que ses conséquences sur la capacité des utilisateurs à exercer un libre choix. Face à cette situation, l’Europe pourrait favoriser plus encore qu’elle ne le fait, le déploiement de solutions alternatives préservant la souveraineté des utilisateurs à l’image du moteur de recherche Qwant ou de la messagerie Jitsi Meet.

Proposer des outils technologiques pour mettre en avant ces alternatives et plus largement, sensibiliser à l’enjeu de la protection des données personnelles permettrait à l’utilisateur de devenir acteur de sa vie privée numérique.

Accompagnons la prise de conscience des internautes et suivons les traces de Yuka. Partie de rien, l’application a réussi un tour de force en incitant les industriels de l’alimentation à revoir les compositions de leurs produits. Une telle initiative est possible en matière de protection des données personnelles.

Corinne Guédon-Lepeuple est directrice générale et fondatrice de Little Syster.

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